Notre traducteur américain nous livre depuis Los Angeles une expérience particulièrement intéressante, d’un point de vue culturel : l’apprentissage de l’anglais à un groupe de Japonais.

« Je n’oublierais jamais mon premier cours d’anglais donné à une classe de Japonais pour lesquels il s’agissait de la deuxième langue. Lorsque je suis entré dans la salle de classe, il est était à peine 8 heures et personne ne m’a regardé. Je n’étais pas habitué à ce genre d’accueil, tout le monde cherchait à éviter mon regard. Ils avaient l’air de penser « mais c’est qui celui-là ? qu’est-ce qu’il nous veut ? C’était une évidence : je devais briser la glace. Ayant déjà été confronté à une telle situation, je ne me suis pas inquiété le moins du monde.

Et pourtant, briser la glace avec des Japonais, c’est entrer dans une toute nouvelle dimension qui interprète les paramètres de la vie avec un instrument différent. Une nouvelle manière de penser, à commencer par la place du verbe à la fin de la phrase. C’est pour cette raison qu’ils avaient du mal à s’exprimer oralement en anglais mais était plutôt doués à l’écrit.

Je les mettais au défi de toutes les manières possibles, mais à chaque fois, c’était moi qui était mis au défi contre un ensemble de valeurs et de traditions qui étaient inutiles dans l’apprentissage d’une langue étrangère. C’est ainsi que je finis par m’attaquer aux habitudes de mes étudiants, en essayant de leur faire comprendre que, pour bien parler anglais, ils devaient devenir un peu moins Japonais.

Il ne s’agissait pas de ma première rencontre avec cette culture, j’avais déjà fait la connaissance de Japonais, à Beverly Hills, dans l’ancienne demeure d’Humphrey Bogart, dont la propriétaire de l’époque était Madame Kawasaki. J’étais le professeur personnel de Kentaro Isobe, un universitaire qui obtenait généralement des résultats moyens, mais constituait le sujet idéal pour mes applications et recherches linguistiques. Il avait bon caractère, un peu timide, mais beau et donc d’accord pour entretenir des conversions avec de jeunes Américaines. Il était au début de son cycle universitaire et avait de nombreuses opportunités pour parler anglais.

Mais cette fois-ci, je ne devais pas enseigner à une seule personne, mais à un groupe, un petit sous-ensemble d’une nation toute entière et dans un contexte formel. Je compris vite que les manuels constituaient, pour eux, une chose essentielle, pour ne pas dire sacrée. En effet, un professeur sans manuel scolaire ne serait jamais vraiment pris au sérieux. C’était impensable pour eux. Je les surprenais par exemple en train de dessiner des idéogrammes dans l’air, traduire dans leur tête des mots anglais dont ils n’étaient pas sûrs. J’eus le sentiment que pour les membres de certaines grandes cultures asiatiques, comme le Japon ou la Chine, la langue et le texte ne faisaient qu’un.

Cette problématique allait constituait un véritable frein à mes cours de conversation. Je devais y remédier. Je devais faire quelque chose pour attirer leur attention. C’est avec plaisir que je me rappelle l’expression de leurs visages, lorsque sans prévenir, je pris une copie du manuel et la jetai à la poubelle.

La confiance qu’ils vouaient aux mots écrits était une réelle entrave, quelque chose dont ils devaient être conscients afin de pouvoir trouver une manière de gérer ce problème. Mon cours était censé les amener à parler anglais, à entretenir une conversation, à sortir et à faire tout ce dont ils avaient besoin, et notamment parler à d’autres personnes. Auraient-ils été capables de faire toutes ces choses en restant constamment plongés dans leurs livres ? Sûrement pas, c’est bien pour cette raison que je devais me débarrasser du livre.

Je leur disais de manger des pancakes, des hamburgers avec de la salade et du bleu, sans oublier les frites au ketchup. Un jour, un étudiant coréen m’a raconté qu’il avait mangé de la soupe de poisson au petit déjeuner. Est-ce que les Japonais le font aussi ? Vous mangez de la soupe de poisson au petit déjeuner et vous voulez apprendre à parler anglais ? Non, impossible, il vous faut manger des œufs et du bacon, et des toasts !

La langue est bien évidemment liée à la mémoire ; aux souvenirs chargés en émotions, comme par exemple manger un délicieux repas créant les prérequis afin de faciliter le retour de certains mots dans votre esprit ! C’est ce qui est arrivé à mon ami européen qui lorsqu’il est venu aux États-Unis, a pris un pain dont il raffole : le bagel. Et, curieusement, l’odeur, le goût de cet aliment lui a rappelé la prononciation exacte ! »

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