Il est de croyance commune qu’une personne bilingue peut s’improviser traductrice, et pourtant la traduction est un réel métier car, outre l’aspect purement linguistique, elle requiert une bonne connaissance du domaine auquel appartient le texte à traduire ainsi que la maîtrise de la langue de spécialité utilisée par les spécialistes de ce domaine.

 En effet, il est important de faire la différence entre la langue commune, c’est‑à‑dire celle que nous parlons tous les jours, et les langues de spécialité (populairement appelées « jargons ») propres à chaque secteur telles que le langage technique, le langage scientifique et médical, le langage juridique et financier, le langage littéraire, etc.

 Explorons à travers cet article quelques spécificités des principales langues de spécialité rencontrées lorsque l’on exerce le métier de traducteur.

 Le langage technique

C’est sans aucun doute la langue de spécialité la plus utilisée, étant donné le volume de traduction représenté par les catalogues, modes d’emploi et autres manuels, lesquels sont rédigés selon un style bien particulier et présentent un vocabulaire hautement spécialisé.

Le style : il doit être informatif, c’est‑à‑dire qu’il doit être complètement neutre et objectif car il a pour but d’informer ou de donner des explications. Le contenu doit être clair et précis, les phrases plutôt courtes et la fonction référentielle (données objectives, définitions, chiffres, dates, noms, etc.). Le discours doit être impersonnel, c’est‑à‑dire que la personnalité et l’opinion de l’énonciateur ne doivent pas transparaître.

La terminologie : elle doit évidemment correspondre au vocabulaire utilisé habituellement par les spécialistes du secteur, mais elle doit surtout respecter le principe de la monosémie des termes, à savoir qu’un terme ne peut désigner qu’un seul et unique concept afin d’éviter toute confusion et de lever toute ambiguïté. En vue d’assurer l’uniformité terminologique lors de la traduction de gros volumes, les linguistes élaborent généralement un glossaire répertoriant les termes techniques dans la langue de départ et dans celle d’arrivée avant de procéder à la traduction.

 Le langage scientifique et médical

Cette langue de spécialité a de nombreux points communs avec le langage technique, tant au niveau du style que du vocabulaire, mais elle présente tout de même des spécificités dont il convient de tenir compte lors de la traduction.

Le style : il va dépendre du public visé : le style sera plutôt informatif et impersonnel si le texte est destiné à être lu par le grand public tandis qu’il sera plus complexe et argumenté s’il s’agit d’un essai ou d’un article publié dans une revue scientifique ou médicale destiné à être lu par des spécialistes. Dans le second cas, il fera transparaître l’opinion de l’énonciateur qui présentera alors une thèse dans le but de convaincre à l’aide d’arguments étayés par des exemples.

La terminologie : là encore, celle‑ci dépend du public visé : elle sera plus générique et commune si le texte s’adresse au grand public, c’est‑à‑dire qu’elle sera vulgarisée dans un souci de compréhension par le plus grand nombre (ex. le terme « infarctus du myocarde » sera remplacé par le terme courant « crise cardiaque »). En revanche, si le texte s’adresse à des spécialistes, la terminologie utilisée sera hautement spécialisée et il sera également possible de recourir à des abréviations (ex. « FA » pour « fibrillation auriculaire »).

N.B. : la langue de référence de ce domaine est aujourd’hui l’anglais, mais pendant très longtemps ce fut le latin ; ainsi, du point de vue de la traduction, la terminologie scientifique et médicale européenne est relativement abordable car elle présente bien souvent des termes transparents d’origine latine (ex. FR : fibrillation ventriculaire, EN : ventricular fibrillation, ES : fibrilación ventricular, IT : fibrillazione ventricolare, etc.).

 Le langage juridique et financier

Cette langue de spécialité est complexe et suppose une excellente maîtrise de la syntaxe, de la grammaire et de l’orthographe. De plus, l’enjeu découlant de la traduction de textes de loi, de contrats, de rapports d’activité et d’actes juridiques en tout genre est important car la responsabilité du traducteur peut être engagée en cas de contresens ayant porté à confusion. Un prérequis est donc de bien connaître et comprendre le style et la terminologie spécialisée utilisés dans la langue de départ.

Le style : il est informatif et impersonnel, mais à la différence des deux langues de spécialité que nous avons évoqué précédemment, il est également très formel : les structures des phrases sont complexes et présentent de nombreuses subordonnées ainsi que de longues énumérations, c’est pourquoi il faut être très attentif à la continuité du sens et aux accords.

La terminologie : elle est généralement monosémique et se constitue, au‑delà des termes, d’expressions particulières (ex. « à défaut », « le cas échéant », « attendu que », etc.). Elle pourra dans certains cas être vulgarisée afin de faciliter la compréhension du destinataire, notamment dans les contrats engageant un non professionnel (ex. consommateur) ; dans ce cas, l’expression « intérêts moratoires » pourra par exemple être remplacée par « intérêts de retard ».

En ce qui concerne le langage financier, et plus particulièrement lors de la traduction d’états financiers (bilans, comptes de résultat), la terminologie n’étant pas unifiée au niveau international, il convient de se référer avant tout aux documents servant à l’élaboration de ces documents dans le pays cible (ex. Plan Comptable Général en France).

 Le langage littéraire

Cette langue de spécialité est tellement différente de celles évoquées ci‑dessus qu’en règle générale, les traducteurs littéraires ne sont spécialisés que dans ce domaine de spécialité et les traducteurs dits « techniques » (spécialisés dans un ou plusieurs des autres domaines) n’osent pas se frotter à la traduction littéraire. Cela tient au fait que celle‑ci requiert, outre une excellente maîtrise de la langue, une grande créativité et la capacité à s’éloigner du texte source ; en bref, il faut avoir une âme d’écrivain !

Le style : il est évidemment narratif puisque le but est de raconter une histoire mettant en scène des personnages dans un cadre contextuel défini ; il doit être soigné (grande attention portée à la syntaxe, la grammaire et l’orthographe) et peut avoir recours à des figures de style qu’il faut savoir manier. De plus, les textes littéraires regorgent de références historiques et culturelles propres à une période et/ou une zone géographique donnée ; du point de vue de la traduction, il est alors possible de choisir l’une des deux options suivantes :

Traduction sourcière : le traducteur s’en tient au contexte de départ, conserve les références culturelles et géographiques du texte source et recourt à de nombreuses notes explicatives ; le but ici est d’« immerger » le lectorat cible dans la culture source afin de créer un effet d’exotisme et de dépaysement.

Traduction cibliste : le traducteur prend des libertés et réélabore certains passages afin qu’ils correspondent aux références de la culture cible ; il évite ainsi l’abondance de notes explicatives mais perd également l’essence du texte de départ ; dans ce cas, l’objectif est de s’adapter au lectorat cible pour donner l’illusion que le texte a été directement rédigé dans la langue cible.

La terminologie : elle est indéfinissable étant donné qu’elle naît d’un processus créatif ; notons seulement la célèbre formule d’ouverture des contes « Il était une fois ».

 En conclusion, les langues de spécialité sont la véritable valeur ajoutée des traducteurs car ce sont les seuls à maîtriser à la fois une ou plusieurs langues étrangères ET une ou plusieurs langues de spécialité. À eux de les manier avec adresse pour restituer des textes idiomatiques en termes de style et précis du point de vue de la terminologie !

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